Hormis la présence de lampadaires par-ci et par-là, la nuit plongeait la ville dans la noirceur totale. Les taverniers, sous l’influence de l’alcool, déambulaient pitoyablement sur les rues désertes, tous avides d’amusement quelconque. Les dernières voitures éclaboussaient les trottoirs dès lors humides, et la brise glaciale agrippait la peau des piétons pour ensuite pénétrer profondément dans chaque parcelle de leur corps. Un silence mystérieux, voire même menaçant, planait au-dessus de la métropole, ainsi qu’une terrible odeur de chien mouillé.

Comme toutes les nuits, l’horloge se dressant fièrement au centre de la place principale et surplombant tous les autres bâtiments exécutait ses traditionnels douze coups de minuit. Les retardataires s’empressaient de regagner leur logis, et, comme par enchantement, les réverbères s’éteignirent un par un. En moins de soixante secondes, une sérénité absolue régnait dans les avenues, imperturbable racontaient certains.

Pourtant, cette quiétude fut corrompue lors d’une nuit sans lune.

Comme l’éclaire qui s’étire pour frôler la terre, une ombre imposante et uniforme se matérialisa soudainement entre les murs d’une ruelle crasseuse et déglinguée. Il s’agissait d’un homme, ou d’un être similaire, qu’aucun habitant n’avait rencontré auparavant. Un paquet reposait confortablement dans ses bras protecteurs, et l’inconnu prit même la peine de mieux le recouvrir dans son étoffe tandis qu’il analysait minutieusement les lieux. D’une démarche ferme, la silhouette s’éloigna du cul de sac et emprunta la première rue qu’elle croisa. L’écho de ses pas sur le béton alarma les chiens des environs et provoqua un véritable concert d’aboiements. Derrière l’homme, les lumières des habitations illuminèrent soudainement l’avenue et les grondements de leurs occupants se joignirent à la partie. Le calme de l’obscurité venait visiblement d’être troublé. Et pour couronner le tout, le paquet émit un sanglot aigu que son porteur tenta de taire en chuchotant quelques paroles douces. Il ne voulait pas qu’on le repère, qu’on l’attrape, qu’on lui pose des questions qu’il lui était formellement défendues de répondre, qu’on l’arrête sans qu’il eut achevé sa tâche. À cette pensée, l’étranger accéléra la cadence, toujours en descendant plus bas dans la ville et ne s’arrêtant que lorsqu’il aboutit à l’entrée d’un immence édifice. L'Orphelinat. Il s’agissait de sa destination.

-Le temps est venu, murmura-t-il à l’intention de la chose.

Les secondes passèrent, devinrent des minutes, puis l’homme s’inclina et déposa soigneusement le tas de tissu sur le parquet froid éclairé d’une simple ampoule. L’individu ne se releva pas tout de suite, prenant son temps pour caresser et embrasser tendrement le minuscule visage émergeant de la couverture.

-Adieu.

Tant de douleur, de tristesse, d’amertume et d’amour dans ces paroles qu’ils ne laisseraient même pas le plus sans-cœur des êtres sans émoi. L’ombre se redressa d’un mouvement vif et quitta le vestibule à la course en espérant de grâce qu’on ne l’avait pas aperçu. Son long manteau claquait à chaque enjambée qui le séparait de ce qu’il possédait de plus précieux, et qu’il abandonnait aux mains de parfaits étrangers. Mystérieusement, en empruntant les mêmes rues, rien ne laissait croire qu’on avait dérangé les gens dans leurs sommeils, le silence absolu. Tel qu’un clignement d’œil, l’homme disparu dans la nuit, ne laissant derrière lui une légère brise qui se perdit dans l’atmosphère.