>> Enfin. Après plus de deux ans de recherches, elle avait réussi. Sans cesse, depuis trois jours exactement, ces souvenirs tournaient en boucle dans sa tête.

Assise contre un mur, dans sa chambre de la grande maison qu’elle habite dans le Quartier Riche, Siumi respire un grand coup. Elle tient dans les mains une seringue, contenant un produit translucide, d’un joli bleu azur. Levant l’objet à hauteur de ses yeux, elle tremble un peu. Et si elle s’était trompée ? Si elle était sur le point de s’empoisonner, de se rendre malade ? Non. Elle doit y croire. Elle a peur des piqures alors si en plus, elle a peur de ce qu’il y a DANS la piqure… Elle referme un peu plus ses doigts autour du tube de verre, laissant entrevoir ce qui doit être sa chance de s’échapper, de ne pas aller au front. Le vaccin.
Siumi ferme les yeux, serre les mâchoires et se plante d’un geste brusque l’aiguille dans le bras. Elle vide l’instrument, la respiration rapide, puis le jette au loin. La jeune fille appuie sa paume sur l’endroit ou elle s’est piquée pour empêcher une seconde goutte de sang de suivre la première, qui vient de perler. Elle n’est pas médecin hein. Elle attend quelques secondes… Déception. Il ne se passe rien.
L’oméga se lève et se dirige vers la seringue qu’elle explose sous sa semelle d’un geste rageur. Shootant dans les débris transparents, elle se dirige vers la salle de bain pour désinfecter l’endroit ou elle s’est piquée. Après quelques pas sur le carrelage, elle entrevoit son reflet dans le miroir. Pâle comme la neige, elle voit le réseau de ses veines qui se dessine sur son corps, à travers son épiderme devenue quasiment translucide. Panique fulgurante.
Des tremblements plein les mains, elle s’appuie sur le lavabo pour s’approcher et s’examiner. Ses bras cèdent, parcourus eux aussi de tremblements qui ne peuvent pas provenir d’une peur quelconque. Elle bascule, heurte le lavabo et glisse par terre, tandis que la vibration inquiétante gagne son corps tout entier. Siumi, privée de toutes ses forces, se tortille au sol, une écume bleutée perlant au coin de ses lèvres, les yeux roulant dans leurs orbites. Puis soudain, tout s’arrête. L’oméga disparaît.
C’est une Omicron qui se relève, pantelante. Mais libre.

Un frisson parcourut la colonne vertébrale de la jeune fille en repensant à cette sensation. Elle avait bien cru assister à sa propre mort sans pouvoir lutter. Mais elle avait réussi. Elle ne savait pas combien étaient dans son cas, mais elle, elle n’irait pas faire la guerre, elle n’obéirait pas aux Deltas pour devenir de la chair à canon.
Les mains dans les poches, elle se remémorait l’instant en parcourant les ruelles des mauvais quartiers. Elle préférait cet endroit plein de cachettes, de murs d’escalades appelés communément « façades d’immeubles », de points d’observation, de chats de gouttière. Pour une fois, elle n’écoutait pas sa musique, son casque était rangé dans son sac qui ne la quittait jamais. Prise d’une soudain envie d’action, la petite catwoman avisa un immeuble abandonné, à une centaine de mètre devant elle. Siumi s’élança, courant à grandes enjambée afin de prendre de l’élan, puis sauta. Il se produisit alors un évènement anormal.
Elle avait calculé son saut pour qu’il la porte au niveau du deuxième étage. Au lieu de ça, elle se propulsa littéralement vers le haut, vers le sixième étage. Un saut bien au-delà de ses capacités. Surprise de perdre de vue la prise sur laquelle elle s’était concentrée, Siumi n’eut pas le temps de recalculer son saut et se heurta ridiculement au mur de béton avant de glisser et tomber vers le sol. Par pur réflex, elle tandis les mains et réussit à agripper un rebord de fenêtre du quatrième et resta là, suspendus dans le vide. Jusqu’à ce que la corniche déjà fissurée cède sous son poids, la jetant de nouveau dans le vide. Avec un cri, la jeune Omicron réussit, à la manière des félins, à se retourner d’un mouvement de reins et atterrit accroupie, en appuie sur ses bras. Sans la moindre égratignure.

-C’est quoi ce bordel ?

Marmonna-t-elle.
Son pouvoir semblait exacerbé. Elle n’aurait en temps normal, jamais pu effectuer un saut aussi puissant. Elle n’aurait jamais été aussi prodigieusement rapide pour se rattraper et elle aurait du se faire un peu mal en tombant. Au lieu de quoi, on aurait presque dit un numéro préparé à l’avance, s’il n’y avait pas eu son baiser fougueux avec le béton sale du mur, une dizaine de mètres plus haut. La jeune fille se relevait, perplexe, lorsqu’un brui la fit se retourner. Comme un pied heurtant involontairement une canette abandonnée.
Siumi fit face au nouveau venu, méfiante.